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Depuis l’arrivée sur le marché de casques de réalité virtuelle performants et au coût modéré, les Environnements Virtuels pour l’Apprentissage Humain sont de plus en plus utilisés. Apprentissage de procédures, de compétences non techniques, de gestes, de langues, etc., tous les domaines peuvent bénéficier des potentialités de la réalité virtuelle. L’objectif de cet article est d’apporter un retour d’expérience sur l’adoption et la réalisation d’une formation en réalité virtuelle dans un contexte de formation professionnelle. En partant du point de vue d’un studio créateur de produits de formation expérientielle, nous présentons depuis l’origine du projet, les choix de conception et de réalisation d’une formation pour l’apprentissage de procédure à destination du personnel infirmier.

Sécurité transfusionnelle VR : un dispositif de formation créé en partenariat avec l’hôpital Foch

Comme vous le savez, SYKO studio est une start-up française qui conçoit et crée des produits de formation expérientielle. Notre objectif est de favoriser et renforcer le désir et le plaisir de se former tout au long de la vie.
Nous exploitons les propriétés du divertissement que sont l’esthétisme, la narration et l’interactivité pour susciter une large palette d’émotions. Combiné avec notre politique de R&D, ceci nous permet de mettre en scène le contenu de nos clients et partenaires à travers des expériences pertinentes, mémorables, engageantes et efficaces pour être véritablement impactantes.

L’hôpital Foch est un établissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif (ESPIC) qui a fêté ses 80 ans en 2017. Avec 2 000 collaborateurs, 260 000 consultations hors maternité et urgences et plus de 37 000 hospitalisations par an, il est un des plus grands centres hospitaliers d’Île de France.

L’hôpital Foch est également le plus grand hôpital privé universitaire de France avec l’ambition d’innover pour mieux former. Leurs objectifs : optimiser la performance dans le secteur hospitalier, promouvoir la qualité des soins et développer les compétences du personnel médical. L’hôpital Foch héberge également l’institut Foch Santé Formation (FSF). FSF s’appuie sur 48 intervenants experts en santé et en formation et dispose de 600 m² de salles et plateaux techniques équipés de systèmes vidéo, de mannequins haute et basse fidélité, d’équipements médicaux et de mobilier. FSF forme dans ses locaux le personnel médical de l’hôpital Foch mais aussi d’autres hôpitaux français.

Au printemps 2018 nous avons conçu et développé, en partenariat avec l’hôpital Foch, un dispositif de formation en réalité virtuelle à destination du personnel infirmier.
Ce dispositif, qui utilise l’HTC Vive avec un mode de déplacement de type roomscale (possibilité de se déplacer physiquement à l’échelle de la pièce simulée), a été déployé en juin 2018 auprès de 300 infirmières de l’hôpital Foch. Une version actualisée (TRANSFUSION SAFETY VR 2.0) pour le casque Oculus Quest fonctionnant sans fil et sans contrôleurs est commercialisée depuis septembre 2020.

L’objectif pédagogique de cette formation par simulation en réalité virtuelle, est une analyse des pratiques professionnelles dans un contexte d’hémovigilance et de sécurité transfusionnelle. Plus précisément, il s’agit de sensibiliser le personnel infirmier au risque transfusionnel et de renforcer leurs connaissances concernant la procédure à mettre en œuvre en cas d’incident transfusionnel. Ce projet s’inscrit donc dans l’usage de la réalité virtuelle pour l’apprentissage de procédures.

Objectif pédagogique

En France, tout professionnel de santé doit suivre un dispositif de formation continue intitulé Développement Professionnel Continu (DPC). Foch Santé Formation propose notamment une approche combinant simulation et débriefing, déclinée à travers 31 formations thématiques différentes.

Le module de formation destiné au personnel infirmier demandé par l’hôpital Foch a trait à la sécurité du patient lors de la transfusion d’une poche de concentré de globules rouges (CGR). Il s’agit ici de respecter la règle des 5B : Administrer le Bon médicament, à la Bonne dose, sur la Bonne voie, au Bon moment, au Bon patient (Fig. 1).

Figure 1 : Règle des 5B. Source : omedit-centre.fr

Jusqu’à présent cette formation était dispensée à travers une chambre de patient reconstituée (Fig. 2) dans laquelle étaient disséminées 11 erreurs : différence entre le nom du patient sur son bracelet et sur les documents médicaux, mauvaise concentration au niveau du CGR, etc.

Si l’aspect ludique a plu et fonctionné les premières années, le personnel infirmier commençait à manifester une certaine lassitude ces derniers temps. L’hôpital Foch a donc demandé à SYKO studio de réfléchir à un nouveau dispositif de formation visant à réactualiser les connaissances du personnel infirmier sur la procédure à appliquer en cas de survenue d’un incident lors d’une transfusion.

Figure 2 : Chambre de patient reconstituée servant de support à la recherche des 11 erreurs.

La procédure à appliquer lors de la survenue d’un incident transfusionnel comporte les 6 grandes étapes non détaillées suivantes :

  1. Stopper la transfusion, lancer un bilan hémodynamique, informer le patient
  2. Appeler le médecin et lui décrire la situation
  3. Lancer un bilan hémodynamique, vérifier l’ensemble des documents
  4. Appliquer la prescription du médecin, informer le patient
  5. Appeler le dépôt de délivrance
  6. Déclarer l’incident transfusionnel dans le logiciel métier

Pourquoi la réalité virtuelle ?

Le client était ouvert quant à la forme que devait revêtir le dispositif dans la mesure où celui-ci rentrait dans le budget et validait les deux objectifs suivants :

  1. Mettre en scène la procédure à appliquer ;
  2. Servir de support à une phase de débriefing.

La phase de débriefing étant considérée par le personnel formateur comme la phase permettant un véritable apprentissage profond.

Le Nécessaire besoin de pédagogie

Différents médias auraient ainsi pu être envisagés, plus ou moins immersifs et plus ou moins interactifs : film avec des personnages réels ou film d’animation, jeu sérieux plus ou moins avancé (quiz, 2D ou 3D, statique ou dynamique, explorable ou non explorable), réalité augmentée ou réalité virtuelle.

Un travail de pédagogie a alors été nécessaire pour expliquer les potentialités et limites de chacun de ces médias. Nous nous sommes notamment appuyés sur différents exemples allant du produit simple existant au projet de recherche en cours.

Différents critères comme l’attrait immédiat pour les apprenants, les degrés d’immersion et d’interaction et l’autonomie de l’apprenant ont été évalués et mis en perspective au regard des deux objectifs fixés par le client (mise en scène de la procédure à appliquer et support au débriefing).

Nous avons alors pris un soin particulier à différencier jeux sérieux, réalité augmentée et réalité virtuelle (Fig. 3). Chacun de nos interlocuteurs, administrateurs, formateurs ou représentants des apprenants, venant avec ses connaissances et a priori parfois divergents. Les pratiques commerciales de certains grands groupes internationaux qui se réapproprient et détournent certains termes comme par exemple la réalité mixte ne nous aident pas.

Figure 3 : Le continuum réalité – virtualité [1]

Les Avantages des EVAH

Puisque SYKO studio en a également les compétences, nous aurions pu proposer une solution reposant sur un jeu sérieux. L’efficacité des jeux sérieux en matière d’apprentissage étant maintenant largement étayée [2]. Interactif et ludique, ils ont la capacité de capter et maintenir l’attention et la motivation de l’apprenant sur la tâche. Le retour immédiat qu’ils proposent et leur nature hédoniste à même de désacraliser l’erreur, favorisent la compréhension. Leur nature numérique fait qu’il est facile de rejouer une même situation ou d’en paramétrer une version adaptée. Enfin, la variété des mécaniques ludiques activables permet de susciter une large palette d’émotions à même de favoriser l’engagement de l’apprenant et la rétention des connaissances. Cependant, notre recommandation est allée vers l’utilisation de la réalité virtuelle. Nous décrivons ci-après les principales raisons ayant guidé notre choix pour un Environnement Virtuel pour l’Apprentissage Humain (EVAH).

Immersion, Interaction, Engagement, Présence

L’immersion visuelle et sonore permet de couper l’opérateur de l’environnement réel. L’attention de l’opérateur ainsi positionnée sur le monde virtuel, ce dernier devient alors le nouvel environnement de référence pour l’utilisateur. Sa compréhension de l’environnement virtuel et de la situation qui s’y joue en est alors facilitée. Compréhension et acceptation de la situation seront encore facilitées grâce à une immersion à l’échelle 1 et avec une zone de suivi adaptée à la zone de déplacement dans l’environnement virtuel (mode roomscale)

Même si les possibilités d’interaction offertes par les dispositifs actuels de réalité virtuelle comme les manettes du HTC Vive ne permettent pas d’effectuer des gestes fins, ils suffisent néanmoins à l’utilisateur pour déclencher des actions donc pour réifier ses intentions. Combiné aux possibilités de suivi en mode roomscale, les EVAH offrent aux apprenants la possibilité d’être réellement acteurs durant leur apprentissage. Acteur dans le sens de la motricité et de la proprioception. Ainsi, les apprenants ne se contentent pas d’apprendre ou de réciter par cœur la suite d’instructions composant une procédure, mais au contraire ils la réalisent avec et par leur corps. Cette correspondance au niveau de la proprioception que l’environnement soit réel ou virtuel, n’aurait pas été possible avec un jeu sérieux joué sur un ordinateur ou sur une tablette. Ceci est maintenant d’autant plus vrai avec la version sur Oculus Quest qui permet d’agir directement avec les mains sans utiliser de contrôleurs. L’étude conduite par Ganier et al. (2014) [3] a montré l’efficacité de l’apprentissage de procédure en environnement virtuel.

L’engagement [4] ressenti durant l’activité renforce encore la focalisation de l’attention de l’apprenant vers le contenu de la simulation. Les émotions suscitées par la situation, par ce qui s’y passe et par ce qu’il y a à faire, sont alors ressenties plus intensément. Ceci favorise encore une meilleure mémorisation de l’apprentissage.

Enfin, le sentiment de présence possiblement ressenti, c’est-à-dire le sentiment d’exister dans le monde virtuel notamment en incarnant un rôle dans la situation virtuelle décrite [5] ; et non, en étant seulement là, dans un environnement virtuel, fait que les réactions et comportements seront similaires que la situation soit réelle ou virtuelle. Ressentir ce sentiment de présence favorisera le transfert des connaissances et compétences acquises dans le virtuel vers le réel.

Accessibilité, Analyse des données, Adaptabilité

En matière d’accessibilité, déployer une simulation virtuelle plutôt que réelle peut s’avérer moins dangereux pour les apprenants, moins couteux (conception, matières premières, consommables, etc.) pour les organismes formateurs ou plus facilement réalisable [6]. L’hôpital Foch possède déjà différents box simulant une chambre de patient (voir Figure 5.). Si du personnel infirmier d’autres hôpitaux vient se former sur place, notre client souhaitait pouvoir se déplacer dans ces autres hôpitaux pour dispenser sa formation afin de faire gagner un temps précieux au personnel infirmier. Le virtuel est ici un atout déterminant. En outre, les simulations s’enchainant, il est plus facile de remettre en place une chambre de patient (équipements, documents, etc.) virtuelle que réelle, un clic suffit.

Avec le numérique il est également plus aisé de collecter la trace de l’apprenant (l’ensemble ordonné des actions qu’il a effectué durant la simulation) que dans le réel. Il est ainsi possible de vérifier que les étapes de la procédure ont bien été réalisées et dans le bon ordre. Un rapport peut alors être communiqué à l’apprenant et au formateur par exemple en vue de servir de support au débriefing.

Le numérique facilite la mise à disposition de situations d’apprentissage standardisées pouvant être rejouées exactement, ou au contraire adaptées grâce au contrôle fin des différents paramètres de la simulation. Il est ainsi possible d’adapter le contenu ou le déroulé de la formation en fonction de l’apprenant (par exemple en s’appuyant sur la trace collectée lors d’une session précédente de formation et reflétant l’état de ses connaissances), en fonction de l’objectif spécifique de l’apprentissage (nouvelle connaissance, renforcement, etc.), ou en modifiant le scénario pour créer des périodes de tension par exemple.

Débriefing

Le débriefing est considéré comme l’étape clé de la formation par simulation. Celle qui permet d’atteindre un apprentissage plus profond que ne le permettrait la seule simulation [7]. La simulation en réalité virtuelle est immersive, interactive, engageante et peut susciter un sentiment de présence. Elle a donc le potentiel pour faire vivre aux apprenants une expérience plus riche et mémorable que les autres médias cités en introduction de la section 3.1. Ce dernier aspect, riche et mémorable, est particulièrement utile pour nourrir le débriefing intervenant après la simulation.

Conception de la simulation

Dans cette section nous présentons dans un premier temps l’approche guidant nos choix de conception afin de réussir ce projet. Puis, nous donnons quelques exemples pour montrer comment cette approche s’est traduite dans la réalisation finale de la simulation. Celle-ci a été réalisée avec le moteur de jeu Unity. La simulation dans sa version initiale de 2018 utilisait le casque HTC Vive. La version en vente actuellement utilise le casque autonome Oculus Quest.

Conditions de succès de la formation

Notre objectif est de développer un dispositif de formation attrayant et ayant du sens pour procurer une expérience engageante aux apprenants et tendant vers le sentiment de présence. Ceci afin de susciter et renforcer leur motivation sur plusieurs cycles de formation et d’augmenter l’impact de la formation.

En outre, notre dispositif doit être pertinent par rapport aux simulations en environnement physique (coût de développement, coût d’usage, nouveaux usages comme la mobilité, etc.) et efficace quant à sa capacité à favoriser le transfert des connaissances acquises dans le virtuel vers la pratique réelle.

En tant que concepteur – développeur nous devons fournir une qualité de service pour assurer l’acceptation des utilisateurs :

  • L’environnement virtuel doit être crédible pour que l’apprenant comprenne le contexte.
  • Les interactions doivent être intuitives pour que l’attention de l’apprenant soit focalisée sur la situation décrite dans la simulation et non sur les dispositifs d’interaction et leur utilisation.

Également, offrir une qualité d’expérience pédagogique pour assurer l’appropriation des utilisateurs :

  • La situation décrite doit être perçue comme authentique par rapport aux situations réelles qu’ils connaissent.
  • Disposer d’un modèle d’apprenant (profil, connaissances préalables, etc.)
  • Disposer d’un modèle de connaissances [8] spécifique au domaine (concepts, erreurs, enchaînement de connaissances, etc.).

Qualité de service

L’objectif ici est de s’assurer de l’acceptation par l’apprenant du principe même d’utiliser la réalité virtuelle comme instrument de formation. Il s’agit donc ici de travailler sur les dimensions immersives et interactives de la simulation.

Environnement virtuel crédible

Un premier effort été fait pour modéliser une chambre de patient cohérente par rapport à ce que connait le personnel infirmier (voir Figure 4).

Figure 4 : Équipements, mobilier, documents crédibilisent la chambre du patient.

Une attention particulière a été affectée à la modélisation des équipements médicaux, comme par exemple l’instrument servant à la prise des constantes du patient (voir Figure 5). Les documents médicaux que les apprenants doivent vérifier et renseigner pendant la procédure ont également été traités dans les moindres détails.

'instrument de prise de constantes
Figure 5 : Au premier plan, l’instrument de prise de constantes activable par l’apprenant en appuyant sur le bouton vert. A l’arrière-plan, la poche de CGR avec la tubulure que l’apprenant peut clamper.

Concernant l’avatar du patient nous avons adopté une modélisation en low poly (maillage avec un nombre de polygones réduit) pour éviter le phénomène de rejet observé avec des avatars issus de certaines bibliothèques (uncanny valley) et par choix esthétique (voir Figure 6.).
Bien sûr, tous ces choix de développement doivent garantir le confort de l’apprenant concernant la fatigue oculaire ou le risque de nausée (latence, fréquence de rafraîchissement, etc.).

Figure 6 : Avatar du patient modélisé en low poly.

Interactions intuitives

Notre objectif ici est que l’apprenant se comporte le plus naturellement possible durant la simulation. Il ou elle ne doit penser qu’à la procédure à appliquer et non à la manipulation du dispositif. L’utilisation de la réalité virtuelle ne doit pas provoquer une surcharge mentale qui viendrait complexifier ou entraver l’activité de l’apprenant afin de se rapprocher d’une simulation en environnement réel.

Pour préserver un mode de déplacement naturel nous avons fait le choix de proposer une simulation dans laquelle l’apprenant et son avatar se déplacent de façon simultanée. Dans ce mode de type roomscale, la zone de suivi correspond à la zone d’activité (d’une taille d’un peu moins de 3m x 3m). Ce mode s’applique ici parfaitement bien car cette taille suffit à ce que l’apprenant se déplace depuis la porte de la chambre (origine de la prise de vue de la Figure 7.), jusqu’au patient et englobe le chariot de soins sur lequel sont déposés des documents et équipements médicaux. Une deuxième salle, de taille similaire, dans laquelle l’apprenant doit effectuer par informatique la déclaration de l’incident transfusionnel a également été développée (voir Figure 7). L’apprenant peut donc passer d’une salle à l’autre en marchant jusqu’à la porte et non en utilisant un mode alternatif comme la téléportation.

Figure 7 : Salle de soins dans laquelle l’apprenant vient effectuer la déclaration d’incident transfusionnel.

Toujours dans l’optique de favoriser l’acceptation par l’apprenant du dispositif casque + 2 manettes, ce afin qu’il ait un comportement naturel durant la simulation, celle-ci débute par une étape de tutoriel. Même dans sa version actuelle avec l’Oculus Quest, ce tutoriel est toujours présent pour que l’apprenant s’approprie les possibilités de déplacement et d’interaction. Ce tutoriel se déroule dans la salle de détente où se situe notamment une machine à café (Figure 8). Durant ce tutoriel il est demandé à l’apprenant d’effectuer différentes actions comme regarder autour de lui, se déplacer, se baisser, commander un café, saisir le gobelet et le déposer sur la table haute et enfin saisir des informations. La plupart des apprenants n’ayant jamais chaussé de casque de réalité virtuelle auparavant, ce tutoriel est nécessaire pour qu’ils intègrent les interactions possibles avec l’environnement virtuel : se déplacer, se rapprocher, se baisser, saisir un objet ou déclencher une action.

Sans ce tutoriel de nombreux apprenants seraient restés statiques durant la simulation, n’osant pas se déplacer de peur de se cogner ou de tomber, ou ne sachant pas ce qu’il était possible de faire. Le choix du scénario, l’emploi du temps très contraint du personnel infirmier et le besoin que les apprenants incarnent leur rôle font qu’il n’était pas possible de rejouer la simulation ni souhaitable de leur parler durant l’expérience. A la fin du tutoriel il était demandé à l’apprenant de rejoindre la porte de la salle de détente et de sortir. Il se retrouvait alors dans la chambre du patient, et le scénario de la simulation pouvait réellement débuter.

Figure 8 : Salle de détente dans laquelle se déroule le tutoriel.

Afin de renforcer chez l’apprenant le sentiment d’incarnation dans le corps de l’avatar, les mains de ce dernier s’animaient en fonction de l’action réalisée (saisir un objet, appuyer sur un bouton, clamper, etc. voir Figure 9). L’animation des mains débutait dès que la main s’approchait d’une zone de déclenchement. Ceci permettait également de proposer à l’apprenant une rétroaction signifiant que son intention était bien comprise et donc réalisable. Ceci était important pour une simulation avec le casque HTC VIVE qui utilise des contrôleurs. Avec la version actuelle sur l’Oculus Quest l’animation des mains est maintenant immédiate et correspond réellement aux mouvements des mains.

Figure 9 : La main de l’avatar s’anime à l’approche du bouton vert d’activation du Dinamap, l’index pointé. Un retour sonore issue d’une captation in situ indique également que la prise de constantes est déclenchée, puis les valeurs s’afficheront.
Environnement virtuel crédible et interactions intuitives sont deux facteurs importants dans l’émergence de l’engagement et du sentiment de présence (décrits en section 3.2.1) de l’apprenant durant la simulation [4].

Qualité d’expérience pédagogique

L’objectif ici est de s’assurer de l’appropriation par l’apprenant du contenu de la simulation. Ceci afin que la simulation en réalité virtuelle proposée constitue un véritable instrument de formation. Il s’agit donc ici de travailler sur l’authenticité de la situation proposée et sur les modèles d’apprenant et de connaissances [8].

Situation authentique

Dans le cadre d’une formation professionnelle il est crucial que les apprenants tendent vers la présence d’action. C’est-à-dire le sentiment d’être à l’initiative de ses actes, afin de s’en sentir en responsabilité, et d’avoir conscience des conséquences de ces actes sur l’environnement et la situation virtuelle [5]. Et ainsi s’incarner, non seulement dans le corps virtuel, mais bien dans le rôle afin d’adopter un comportement similaire à celui qu’ils auraient eu dans la réalité.

Pour ce faire il est important qu’ils perçoivent la valeur pédagogique de la formation. Donc qu’ils évaluent la formation comme utile par rapport à leur pratique professionnelle. Ceci passe notamment par le fait de leur proposer une situation authentique, cohérente par rapport aux situations qu’ils connaissent.

Outre proposer un environnement virtuel crédible (voir section 4.2.1), de nombreux échanges avec l’hôpital Foch ont été nécessaires pour garantir l’authenticité de la situation dépeinte pendant la simulation. Pour tous les aspects de la simulation touchant au médical, nos interlocuteurs ont dû faire preuve à leur tour de pédagogie. Le flou et le doute n’étaient pas possibles pour nous. L’objectif étant de concilier objectif pédagogique, exigences médicales et contraintes technologiques et financières. Le principe de cocréation prend ici tout son sens.

Un premier travail sur le scénario à mettre en œuvre a d’abord été nécessaire pour définir le début et la fin de la simulation virtuelle par rapport au processus réel d’une transfusion sanguine qui est plus complet et plus long. Ainsi, les apprenants étaient informés que la simulation débutait par la visite de contrôle intervenant 30 minutes après le début de la transfusion. Dans le scénario, l’information déclenchant la mise en œuvre de la procédure était une indication communiquée par le patient qui se sentait mal. L’apprenant devait alors prendre la température du patient qui avait effectivement une poussée de fièvre.

Nous avons ensuite travaillé sur la forme de la simulation en partant du modèle d’apprenant (voir section 4.3.2). Nous avons également travaillé sur les phrases de dialogue avec le patient, le médecin et le centre de dépôt. Ces échanges passaient par une sélection de phrases pré-écrites. Ces phrases ayant à la fois un lien direct avec l’objectif de la formation (pour informer et rassurer le patient) et un intérêt par rapport à la présence sociale du patient.

Modèle d’apprenant

La simulation était destinée à des infirmières en poste dans le cadre de leur formation continue (Développement Professionnel Continu). Il s’agissait donc, non pas d’apprendre la procédure, mais de s’assurer que celle-ci était toujours bien appliquée. C’est pourquoi il a été décidé de proposer une simulation et un environnement n’apportant pas d’indications sur la procédure à appliquer. Par exemple, et contrairement au tutoriel, aucun effet visuel n’a été surimposé à l’environnement virtuel pour indiquer les éléments interactifs. Ceci afin de ne pas orienter l’apprenant. De plus, durant la simulation l’apprenant est libre de faire ce qu’il veut, dans l’ordre qu’il veut. Il n’y a pas d’échec interrompant la simulation, par exemple si l’apprenant n’arrête pas rapidement la transfusion. Enfin, la décision de considérer que la procédure à conduire lors d’un incident transfusionnel est terminée lui incombait.

Si la simulation avait été dispensée dans un institut de formation en soins infirmiers, donc avec des apprenants en cours de formation, alors nous aurions proposé une simulation accompagnée. Par exemple en enrichissant l’environnement virtuel avec des annotations pour guider le regard et les actions de l’apprenant ou en affichant une checklist de la procédure ou en faisant intervenir un tuteur.

Modèle de connaissances

Il s’agit ici de s’appuyer sur la parfaite connaissance du personnel formateur : procédure à suivre, points durs, erreurs communément faites par le personnel infirmier, etc.
Pour cette première version il a été décidé de proposer une simulation simple respectant la règle des 5B : administrer le Bon médicament, à la Bonne dose, sur la Bonne voie, au Bon moment, au Bon patient. Aucune erreur n’a été introduite dans la simulation.

Toutefois, à l’avenir différents scénarios pourraient être proposés introduisant des erreurs par rapport à la règle des 5B. En s’appuyant sur un modèle de connaissances générique ou dépendant par exemple des erreurs effectuées par un apprenant lors d’une simulation précédente.

Mobilité

Le dispositif de réalité virtuelle n’est pas déployé en permanence par l’hôpital Foch, le client souhaitait donc disposer d’un rangement ad hoc. Surtout, le personnel formateur de l’hôpital souhaite pouvoir se déplacer dans d’autres hôpitaux de France pour dispenser cette formation. Et ainsi éviter au personnel infirmier en formation de perdre un temps précieux dans des déplacements. C’est pourquoi nous avons proposé à notre client une valise de type flight case (voir Fig. 10) spécialement aménagée pour accueillir et transporter un dispositif complet de réalité virtuelle (casque, contrôleurs, accessoires et ordinateur portable).

Figure 10 : La VRXCase©, une valise de type flight case spécialement aménagée pour faciliter le transport d’un dispositif complet de réalité virtuelle. L’ordinateur portable est disposé au-dessus des équipements de l’HTC Vive. La valise contenant l’Oculus Quest est maintenant bien plus petite.

Conclusion

Cet article présente un retour d’expérience sur l’adoption et la réalisation d’une formation en réalité virtuelle pour l’apprentissage de procédure à destination du personnel infirmier.

En partant du point de vue d’un studio créateur de produits de formation expérientielle, nous avons dans un premier temps montré qu’en 2018 il est toujours nécessaire de faire de la pédagogie pour expliquer la réalité virtuelle, ses potentialités et ses limites. Et c’est d’ailleurs toujours le cas en 2020. Nous avons également présenté l’approche ayant guidé nos choix de conception puis indiqué quelques-uns de ces choix visant à favoriser l’acceptation et l’appropriation de la formation en réalité virtuelle par les apprenants. Ceci afin de déployer un instrument de formation plus impactant. Les concepts clés de cette approche sont :

  • Concevoir un environnement virtuel crédible
  • Offrir des interactions intuitives
  • Proposer une situation authentique
  • Disposer d’un modèle d’apprenant
  • S’appuyer sur un modèle de connaissances

Pour atteindre ces différents objectifs une démarche de cocréation avec le personnel de formation et le personnel médical de l’hôpital Foch a été initiée dès le début du projet et poursuivie durant tout son développement.
Les données concernant l’efficacité au niveau de l’apprentissage de cette formation en réalité virtuelle sont encore en cours d’analyse au sein de l’hôpital. Cependant, les premiers retours des cadres de santé, des formateurs et des apprenants sont très positifs et d’autres formations en réalité virtuelle destinées à différents publics et sur différents thèmes sont prévues.

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Remerciements

Nous souhaitons remercier Mr Jacques Léglise, Directeur général de l’hôpital Foch, Mme Dominique Reynaert, Directrice des soins, Mme Cécile Desmoineaux, Infirmière des vigilances, Mr Adrian Radu, Responsable hémovigilance, Mme Laure Guinaudeau, Cadre de santé et l’ensemble des personnels informatiques et techniques pour leur engagement continu tout au long de ce projet.

REFERENCES
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[2] T. M. Connolly, E. A. Boyle, E. MacArthur, T. Hainey et J. M. Boyle, A systematic literature review of empirical evidence on computer games and serious games, Computers & Education, vol. 59, n°2, pp. 661-686, 2012.
[3] F. Ganier, C. Hoareau et J. Tisseau, Evaluation of procedural learning transfer from a virtual environment to a real situation: a case study on tank maintenance training, Ergonomics, vol. 57, n°16, pp. 828-843, 2014.
[4] P. Bouvier, E. Lavoué et K. Sehaba, Defining engagement and characterizing engaged-behaviors in digital gaming, Simulation & Gaming, vol. 45, n°4-5, pp. 491-507, 2014.
[5] P. Bouvier, La présence en réalité virtuelle, une approche centrée utilisateur, Thèse de doctorat, Université Paris-Est, 2009.
[6] D. Lourdeaux, Réalité virtuelle et formation : conception d’environnements virtuels pédagogiques, Thèse de doctorat, École Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2001.
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[8] S. Michelet, V. Luengo et J.-M. Adam, De la conception à l’évaluation d’un modèle pour le diagnostic des connaissances-Etude de cas: le modèle SKE, chez 23es Journées Francophones d’Ingénierie des Connaissances, Paris, 2012.
[9] R. Bouville, V. Gouranton, T. Boggini, F. Nouviale et B. Arnaldi, FIVE: High-level components for developing collaborative and interactive virtual environments, chez Software Engineering and Architectures for Realtime Interactive Systems (SEARIS), 2015 IEEE 8th Workshop on. IEEE, Arles, 2015.
[10] G. Claude, V. Gouranton, R. Bouville Berthelot et B. Arnaldi, Short paper:# SEVEN, a sensor effector based scenarios model for driving collaborative virtual environment, chez ICAT-EGVE, International Conference on Artificial Reality and Telexistence, Eurographics Symposium on Virtual Environments, Bremen, 2014.