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4ème article d’une série ayant pour objectif de définir, délimiter et organiser les concepts d’attention, d’immersion, d’implication, d’engagement, de flow et de présence. Ce 4ème article traite des concepts de présence et de flow.

Les autres articles de la série :

Préambule

Cette série de 5 articles reprend une partie de l’article de recherche intitulé Defining Engagement and Characterizing Engaged-Behaviors in Digital Gaming que j’ai publié dans la revue Simulation & Gaming (Bouvier et al., 2014). Vous pourrez en trouver la référence en bas de l’article.

Notez que si ces articles ont une coloration jeux vidéo ludiques ou sérieux, les propositions s’appliquent à d’autres activités technologiques et sociales comme la réalité virtuelle.

Le sentiment de présence

To be present or not to be

Le sentiment de présence (presence en anglais) est un phénomène crucial dans le domaine de la réalité virtuelle. En effet, un opérateur se sentant présent dans l’environnement virtuel aura des réponses et des réactions (physiologiques, comportementales, émotionnelles, intellectuelles, éthiques) similaires (en intensité et en qualité) que l’environnement et la situation soient réels ou virtuels (Sanchez-Vivez et Slater, 2005). Ceci explique pourquoi la réalité virtuelle est utilisée depuis de nombreuses années pour le traitement des phobies ou des troubles de la personnalité.

Depuis l’avènement de casques accessibles pour le grand public comme l’Oculus Rift ou le HTC Vive, de nombreux articles de journaux ou de blog promettent aux joueurs une nouvelle expérience de jeu. La plupart des articles se contentent de parler d’immersion inédite, inouïe, incroyable, etc. Pour l’instant, rares (les meilleurs ?) sont les articles mentionnant la présence, comme par exemple cette interview de Jenova Chen sur ETR.

Définition

Plusieurs définitions ont été proposées pour le sentiment de présence. Les plus classiques sont le sentiment d’ « être là (« being there ») dans l’environnement virtuel » (Slater et Usoh, 1993) ou une « illusion perceptive de non-médiation » par Lombard et Ditton (1997). Plus récemment, Slater (2009) a proposé de considérer la présence comme la combinaison de « l’illusion du lieu » (« place illusion » qui renvoie à l’idée classique d’être là) et « l’illusion de plausibilité » (« plausiblity illusion ») de la situation décrite.

J’ai proposé dans ma thèse (Bouvier, 2009) de définir le sentiment de présence comme

Le sentiment authentique d’exister dans un monde autre que le monde physique dans lequel le corps est situé.

Le terme sentiment met en avant le fait que la présence est une expérience subjective vécue de façon consciente dépendant à la fois de facteurs internes et externes à l’utilisateur (comme tout sentiment). De plus, bien que conscient de la virtualité de la situation, l’utilisateur présent ressent un sentiment réel et sincère (authentique) d’exister dans le monde virtuel.

La notion d’exister (et non simplement d’être ) inclue à la fois l’idée classique de se déplacer et agir dans l’environnement virtuel mais aussi, et surtout, l’idée novatrice que l’opérateur doit incarner un rôle. Ce rôle peut être celui prévu dans le cadre de l’activité ou un autre rôle qu’aura choisi de façon indépendante l’utilisateur.

Pour aller plus loin

Incarner un rôle requiert d’avoir le sentiment d’être à l’initiative de ses actes afin de s’en sentir en responsabilité. Et aussi d’avoir conscience des conséquences de ses actes sur l’environnement et la situation virtuelle. Et ainsi s’incarner, non pas seulement dans un corps virtuel, mais bien dans un rôle afin d’adopter un comportement similaire à celui que l’on aurait eu dans la réalité. Tendre vers le sentiment de présence est donc particulièrement important dans le cadre de formation en réalité virtuelle par exemple dans l’aviation ou le domaine médical. De fait, le sentiment de présence n’est ni une simple réponse émotionnelle (« J’ai eu peur ») ni juste une impression d’être là, dans l’environnement virtuel (« J’y étais »).

Le flow

L’expérience optimale en action

Csikszentmihalyi (1991) a conceptualisé le flow comme « l’expérience optimale » c’est-à-dire « un état mental d’intense concentration dans lequel une personne est complètement absorbée dans sa tâche et la situation ».

Le flow naît de l’équilibre entre les compétences de l’opérateur ou joueur et les challenges qui lui sont proposés. Si le challenge est trop difficile, inaccessible par rapport aux compétences du joueur, alors l’activité risque de générer de l’anxiété. A l’inverse, si le challenge est trop facile, alors l’activité risque de générer de l’ennui. Mais si l’équilibre est atteint entre challenge proposé et compétences, alors l’activité générera le flow. Cela se traduira par un sentiment de plaisir, d’accomplissement et de maîtrise totale, et sera accompagné par une perte de la notion du temps.

Il s’agit donc d’un état vers lequel les développeurs de jeux vidéo cherchent à faire tendre leurs joueurs. Pour cela il est nécessaire de détecter le niveau du joueur (ses compétences) pour lui proposer des nouveaux challenges toujours plus difficiles mais à sa portée pour ne pas susciter de découragement.

Le flow peut également être ressenti, entre autres, durant une activité sportive ou musicale quand le corps du sportif ou l’archet du violoniste devient le relais direct de ses intentions ou de ses émotions. Et vous, pensez-vous avoir déjà ressenti le flow, dans les jeux vidéo ou ailleurs ?

Bibliographie

Bouvier, P., Lavoué, E., & Sehaba, K. (2014). Defining Engagement and Characterizing Engaged-Behaviors in Digital Gaming. Simulation & Gaming, 45, 4-5, 491-507. PDF.

Bouvier, P. La présence en réalité virtuelle, une approche centrée utilisateur, Thèse de doctorat, Université Paris-Est, France, 2009. PDF.

Csikszentmihalyi, M. (1991). Flow: The psychology of optimal experience. New York, NY: Harper Perennial.

Lombard, M., & Ditton, T. (1997). At the heart of it all: The concept of presence. Journal of Computer-Mediated Communication, 3 (2).

Sanchez-Vives, M. V., & Slater, M. (2005). From presence to consciousness through virtual reality. Nature Reviews Neuroscience, 6, 332-339.

Slater, M. (2009). Place illusion and plausibility can lead to realistic behaviour in immersive virtual environments. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 364, 3549-3557.

Slater, M., & Usoh, M. (1993). Presence in immersive virtual environments. In Proceedings of IEEE Virtual Reality Annual International Symposium (pp. 90-96).